L’APPRENTISSAGE DIFFÉRENTIEL COMME MÉTHODE DE DEVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE DE JEU ET DE LA CRÉATIVITÉ
En tant qu’entraîneur, nous recherchons en permanence les méthodes d’entrainements visant à développer le potentiel de nos joueurs et par conséquent l’optimisation de la performance de notre équipe.
L’apprentissage différentiel (W. Schöllhorn) entre dans la catégorie des méthodes de travail innovante. Elle est en contradiction avec les méthodes traditionnelles visant à répéter un même geste technique dans des conditions stables afin de faire acquérir à nos joueurs le geste technique dit idéal. Elle ne suit pas la logique d’un modèle préétabli comme étant la clé du succès et basé sur des critères de réalisation généraux, soi-disant commun à tous, ou l’entraîneur s’inscrit dans un rôle de prescripteur du « bon geste » à effectuer.
Cette méthode prévoit tout le contraire. C’est justement de l’instabilité que va naître la stabilité (Trouver de l’équilibre dans le déséquilibre…) en répétant des mouvements non conventionnels. Ces derniers ne se retrouveront que très peu en compétition mais vont permettre au joueur de développer son autoadaptation à des environnements changeants et incertains comme c’est le cas en football. L’entraîneur limite ses interventions et ne donne aucune rétroaction correctionnelle par rapport au geste effectué. Le joueur devient alors responsable de sa progression et l’autoapprentissage est un gage de stabilisation de la compétence acquise.
Un changement de paradigme considérable, qui a largement fait ses preuves et qui nous amène sur les terrains de la variabilité, de l’adaptation et de fait sur les notions d’intelligence de jeu et de créativité des joueurs.
DE LA VARIABILITÉ À L’APPRENTISSAGE DIFFÉRENTIEL
A l’origine, le concept de variabilité a été introduit par Schmidt qui a développé l’idée d’introduire de la variabilité dans l’entraînement du sportif avec pour conséquence d’améliorer l’apprentissage moteur. C’est un élément essentiel de la formation du joueur et de l’apprentissage et il prend toute son importance dans le cadre de l’apprentissage différentiel. L’apprentissage différentiel (AD) vise à introduire une variété d’exercices, sans répétition, dans des conditions et des contextes qui se rapprochent de la compétition.
RÉPÉTER SANS RÉPÉTER AU COURS DU PROCESSUS D’APPRENTISSAGE
Le premier principe essentiel de l’entraînement différentiel est la répétition sans répétition. En effet, W. Schöllhorn pense que la répétition jusqu’à obtenir la technique idéale à adopter, s’appuyant sur des critères de réalisation uniques pour une habileté motrice spécifique, empêche les joueurs de développer leur capacité d’adaptabilité, élément essentiel pourtant dans un sport comme le football (Système dynamique complexe).
Dans le cadre des théories de l’information, il a été démontré que cette dernière est obtenue à partir d’une différence. Ce qui veut dire que la répétition en elle-même n’a pas forcément beaucoup d’impact sur l’apprentissage. Ce qui est riche pour le joueur, c’est la différence qu’il peut exister entre deux gestes pour trouver de la stabilité dans le mouvement. le corps et le cerveau s’associent pour reconnaitre les erreurs et adaptent leur interaction au mouvement.
L’analyse biomécanique des mouvements montre que pour un même geste réalisé, les sportifs réagissent différemment entre eux. De plus, ils réagissent eux-mêmes différemment entre les deux gestes qu’ils réalisent consécutivement car les joueurs ont déjà changé après leur première répétition. Le joueur fluctue comme son mouvement. Le système complexe (joueur) s’est adapté au stimuli provoqué par la répétition du même geste et à partir de la seconde répétition, le corps ne réagit déjà plus autant au stimuli proposé.
Cela devient donc une perte de temps si nous ne mobilisons pas le joueur grâce à des fluctuations qui vont sans cesse lui donner la possibilité de chercher à obtenir des informations entre deux mouvements qui se suivent et en comparant le premier au second. Ainsi, l’objectif de l’entraîneur sera d’augmenter les fluctuations de façon progressive, afin d’apprendre au joueur, implicitement, le geste qui lui ressemble.
Ainsi, il a été démontré dans plusieurs sports qu’une plus grande acquisition de compétences et une plus grande rétention de la compétence ont été développées grâce au système d’apprentissage différentiel. Les nombreuses fluctuations du comportement moteur humain dans l’exécution du geste technique vont provoquer une auto-organisation chez le joueur.
Le but sera alors non pas de faire bouger le joueur comme ce qu’il retrouvera en compétition mais plutôt sur une base de mouvements différents, non conventionnels, qui ne seront pas forcement utilisés en compétition afin de perturber aléatoirement le système. De ce fait, plus le joueur sera capable d’explorer la multitude de solutions possibles, plus il sera capable de s’adapter aux changements inévitables en match.
PAS DE CORRECTION AU COURS DU PROCESSUS D’APPRENTISSAGE
La méthode de travail analytique prévoit de faire répéter le joueur jusqu’à obtenir un geste technique basé sur le modèle idéal qui sert de référence. Ce « prototype » semble être le chemin à suivre pour obtenir le salut et la réussite en contexte de compétition. Cependant, nous pouvons déjà constaté, comme évoqué dans la partie précédente, que pour un même geste technique dans une situation similaire, les joueurs vont adopter une stratégie différente qui leur est propre et qui correspond à leur motricité innée.
De ce fait, la question du modèle à suivre se pose. Chaque sportif réagit différemment à un contexte spécifique et malgré les milliers de répétitions effectuées (les fameuses 10 000 heures de l’apprentissage délibéré) chaque mouvement sera différent.
Dans l’approche traditionnelle, la posture de l’entraîneur, s’inscrivant en tant que prescripteur du modèle à suivre, tend à montrer que cette façon d’agir à ces limites. En effet, imposer au joueur le geste soi-disant juste, c’est le soumettre à une représentation d’un modèle. Ce dernier n’est qu’une projection de la réalité, il n’est pas la réalité elle-même. L’entraîneur aura sans doute l’impression de rapprocher le joueur de la réalité du terrain mais il provoquera au contraire une frustration légitime chez le joueur qui ne pourra exprimer tout son plein potentiel librement. Ainsi, apporter en permanence la réponse au joueur ne l’aide pas à développer son autonomie dans la prise de décision et dans les actions à entreprendre. La sanction qui pèse sur le joueur, s’il ne réalise pas le geste demandé, ne l’incite en aucun cas à trouver son propre chemin (théorie du wayfinding). Il y a un maintien stéréotypé du mouvement pour ne pas être en dehors du cadre imposé. Les yeux des entraîneurs ne doivent donc plus voir uniquement ce qu’ils veulent voir mais plutôt accompagner le joueur vers sa propre motricité en s’appuyant sur le principe d’hétérarchie et de bidirectionnalité des feedbacks.
Si nous donnons simplement aux joueurs les réponses aux problèmes, nous ne pourrons pas attendre d’eux qu’ils soient autonomes dans leur prise de décisions et qu’ils deviennent des joueurs créatifs. Ainsi, une étude menée sur la créativité montre qu’à partir d’un certain âge (U11) l’apprentissage différentiel est une méthode primordiale pour former des joueurs créatifs. La créativité naît, entre autres, de la capacité d’adaptabilité des joueurs à des environnement changeants et de leur capacité exploratoire basée sur l’initiative et l’interaction.
Pour étayer notre propos, nous nous appuierons sur une étude menée par la chercheuse portugaise sur la créativité dans le football, Sara Santos. Avec son équipe de chercheurs, elle a testé l’apprentissage différentiel auprès de 40 jeunes joueurs des équipes U13 et U15. Les joueurs ont été divisés en deux groupes de 20 et ont passé cinq mois à jouer à des jeux réduits (Small Side Game, SSG) à l’entraînement. Le premier groupe était engagé dans des SSG traditionnels, tandis que le second jouait à des jeux d’apprentissage différentiel. La créativité de tous les groupes a été mesurée avant et après l’étude à l’aide du modèle « Évaluation du comportement créatif dans les sports d’équipe ». Les résultats ont montré que le groupe différentiel présentait une originalité et une polyvalence accrues des actions, faisait moins d’erreurs et s’améliorait en termes de sens de la position. Plus ils étaient mis au défi, plus leur créativité et leur compréhension du jeu s’amélioraient.
La correction constante et le jugement émis par l’entraîneur amènent les joueurs à être autocritiques et donc à prendre moins de risques, ce qui, à son tour, freine le principe de créativité. Nous devons les laisser apprendre par eux-mêmes car lorsqu’ils se retrouvent sur le terrain, le rôle de l’entraîneur doit être de le rendre autonome dans sa prise de décision. Suivre le cycle de l’autonomie (Catherine Symor) c’est donner les moyens moteurs et cognitifs aux joueurs d’être responsable de ses choix. Comme l’enfant qui apprend à faire du vélo et à qui nous avons donné très peu d’instructions biomécaniques sur le geste idéal à réaliser, l’entraîneur doit être un facilitateur et un créateur de contexte d’apprentissage favorisant le geste qui s’inscrira dans la mémoire à long terme (faire du le vélo, ça ne s’oublie pas…).
L’APPRENTISSAGE DIFFÉRENTIEL ET LA THÉORIE DES SYSTÈMES DYNAMIQUES COMPLEXES
La théorie des systèmes dynamiques complexes et le principe de résonnance stochastique sont à la base de l’apprentissage différentiel. L’amélioration de la performance d’un système complexe présentant des principes de non-linéarité (joueur) est dû à l’application d’un signal stochastique (Bruit). Le bruit devra donc être adapté au niveau du joueur afin de ne pas augmenter ce bruit sans que les ressources du système ne puisse s’y adapter bien qu’il soit déstabilisé au départ. Trop ou trop peu de bruit entraîne une amélioration plus faible du signal (Savelsbergh, 2010).
Nous retrouverons deux signaux stochastiques lors de la réalisation d’un mouvement, celui donné par l’exercice à exécuter et celui donné par les fluctuations naturelles du système (Variabilité inhérente au joueur).
C’est un véritable processus d’auto-apprentissage qui s’organise grâce au bruit du système provoqué par l’entraîneur ou le joueur, sans la nécessité d’une information explicite sur la solution à adopter. Ceci va forcer le système joueur à initier une nouvelle coordination et va entrainer l’émergence de schéma de mouvement plus stable et plus efficaces (Etude sur les effets aigus de l’AD en basket, 2020). Il va alors exploiter pleinement ses propres caractéristiques.
THOMAS TUCHEL ET L’APPRENTISSAGE DIFFÉRENTIEL
Vainqueur de la dernière champions League 2021 avec Chelsea, après une finale perdue avec le PSG la saison précédente, et auteur d’une saison remarquable avec son équipe, Thomas Tuchel est un adepte de l’apprentissage différentiel qu’il utilise régulièrement dans ses entraînement. Son travail auprès du professeur Schöllhorn a orienté sa réflexion sur cette méthode de travail.
Les séances de T. Tuchel comprennent donc une énorme quantité de variation. Etant donné que chaque joueur est différent et qu’il apprend de façon différente, à des rythmes différents, il adapte ses entraînements afin que chacun puisse explorer son espace d’évolution avec des ressources qui lui sont propres et en respectant la singularité de chacun. La variabilité s’exprime aussi dans la variété des exercices proposés dans la même séance ou entre deux séances afin d’éveiller en permanence la réflexion du joueur et de garder une fraicheur cognitive permettant de mobiliser son intelligence de jeu.
Les joueurs s’entrainent par exemple, avec des balles de tennis dans les mains pour éviter d’attraper les maillots des adversaires et provoquer des fautes. Ils jouent sur des terrains avec des formes variables pour induire des comportements spécifiques recherchés par Tuchel (Passes croisées avec le terrain en diamant). Ils évoluent avec des ballons de tailles différentes pour mobiliser la sensibilité perceptive des joueurs et adapter à la force et la vitesse requises lors des transmissions ou la réception du ballon. Autant d’exemples qui montrent que l’apprentissage différentiel est une méthode impactante à tous les niveaux.
De même, à La Masia, le centre de formation du FC Barcelone, le responsable de la méthodologie d’entraînement, Paco Seirul·lo Vargas, est un fervent défenseur de l’entraînement différentiel. Il préconise alors de ne pas répéter plus de trois fois chaque exercice afin de maintenir l’attention des joueurs élevée pour favoriser une meilleure rétention des informations et une fraicheur cognitive.
L’apprentissage différentiel est donc une méthodologie d’entraînement que l’entraîneur moderne se doit de connaitre et de maîtriser pour favoriser la progression de son équipe et former des joueurs intelligents, créatifs et ayant une capacité d’adaptation élevée.
Pour approfondir vos connaissances sur l’apprentissage différentiel, retrouvez notre formation en ligne sur notre site internet www.footballcoaching.fr
Luigi RENNA
Directeur Technique Football Coaching
Sources :
Acute effects of differential learning on football kicking performance and in countermovement jump (Alex Gaspar, Sara Santos, Diogo Coutinho, Bruno Gonçalves, Aime Sampaio, Nuno Leite), October 23, 2019.
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