OPTIMISATION DE L’INTELLIGENCE DE JEU : LES FONDAMENTAUX DE LA MÉTHODE COGNITEAM

Chacun d’entre nous possède ses convictions, ses croyances et ses filtres qui nous permettent d’évoluer dans le monde qui nous entoure. La construction de nos modèles et de nos représentations s’effectue tout au long de notre apprentissage qui est un parcours individuel et non linéaire et qui nous permet de confronter notre réflexion à la réalité de notre contexte. En tant qu’entraîneur, cette réflexion sur le jeu, nous guide et nous oriente sur le chemin complexe de l’optimisation de la performance de l’équipe et du joueur. Nous possédons tous une sensibilité profonde à des éléments qui nous semblent plus pertinent que d’autres dans cette perspective de développement et d’accompagnement du joueur. Elle se crée et se met en place à partir de nos expériences passées et présentes.

La METHODE COGNITEAM est directement issue de ce processus autour du parent pauvre de l’entraînement actuel : Comment développer l’intelligence de jeu du joueur et de son équipe ?

La METHODE COGNITEAM cherche à proposer aux joueurs un maximum de taches d’entraînement représentatives (TER) permettant d’améliorer plusieurs facteurs de la performance et notamment celles liées à la prise de décision : l’analyse et la vision de la situation (perception, vision centrale et périphérique) pour maintenir la maitrise tactique de la situation, la capacité d’adaptation (flexibilité) pour garder un temps d’avance sur l’adversaire, le suivi des différents mouvements sur le terrain (ballon, partenaires, adversaires) pour identifier les priorités et anticiper les choix de jeu, le repères des espaces de jeu (espace d’intervention, de coopération, libre, ouvert, fermé…) pour trouver les réponses adaptées (physique, techniques…) face à une forte contrainte spatiale, temporelle, numérique et émotionnelle. L’objectif sera de toujours transférer ce qu’il se produit à l’entraînement au match, l’inverse étant aussi nécessaire pour construire son entraînement : « Jouer comme on s’entraîne et s’entraîner comme on joue ».

Ainsi, comme le souligne Julian Nagelsman (Bayern Munich): « les exigences dans le domaine cognitif sont de plus en plus élevées et on peut aller encore plus loin dans le football moderne (…) les gars doivent être capables d’évaluer et de trier beaucoup d’informations sous pression et de prendre des décisions très rapides. C’est pourquoi il est important de les sur-solliciter à l’entraînement ».

Prendre une décision tactique, effectuer un geste technique ou une action physique… l’ensemble est commandé par le cerveau qui envoi les messages nerveux suivant les stimuli interne ou externe qu’il reçoit. La cognition regroupe alors les paramètres et les organisations qui vont permettre aux joueurs de traiter l’information, de construire des connaissances, d’adapter sa motricité et de s’épanouir dans sa pratique. L’entraîneur développe l’intelligence factuelle et émotionnelle, la culture, le savoir, l’interprétation des évènements, l’adaptation, la compréhension et la capacité à chercher la solution permettant au joueur et à l’équipe d’être dans les meilleurs dispositions pour réussir l’action de jeu.

Ainsi, le joueur va percevoir par ses sens son environnement interne et externe, son cerveau va interpréter les messages perçus pour renvoyer un message à son corps qui va agir en conséquence. Prendre le parti de développer les aspects cognitifs et la prise de décision intuitive ce n’est en aucun cas omettre les facteurs tactiques, techniques, physiques, mentaux, émotionnelles ou liés au projet de jeu. Bien au contraire. Le but ultime de notre méthode est de sublimer ses qualités grâce à l’utilisation pertinente du cerveau et de son mode inconscient. L’ensemble des compétences interagissent en permanence. C’est le cerveau et tous les éléments qui s’y rattachent qui seront donc principalement sollicités dans le cadre de notre entraînement.

L’entraineur fournit alors un maximum d’expérience/situation qui vont engager le développement des facteurs de la performance et l’autoadaptation pour mieux comprendre le jeu. L’ensemble s’organise dans un contexte fluctuant (individuel ou d’équipe) et des intentions de jeu (idées) se construisent.  Elles permettent de prendre des décisions adéquates. Le joueur devient alors conscient de ses savoirs, savoir-faire et savoirs être.

En effet, beaucoup de paramètres et de concepts de jeu sont à prendre en compte. Les décisions sont alors conditionnées par une conscience que le joueur a de ses qualités, de l’entente avec ses partenaires (coopération) ainsi que de l’opposition avec ses adversaires (coopétition[1]). Quand il réalise une action, il est en permanence en interaction. Quand il fait des choses pour lui, il change des choses pour les partenaires, les adversaires et pour lui-même (Continuum Cognitif).

De ce fait, le joueur va agir par rapport à ce qu’il aura perçu, ressenti ou anticipé à l’instant T et qui fera sens pour lui. Un ancrage va s’opérer en cas de réussite (maintenir la bonne action en mémoire) ou une régulation en cas d’échec (ne pas reproduire cette action). Les émotions vont jouer alors un rôle de marqueur somatique (A.Damasio) .

Pour Paco Seirul-lo (Responsable Méthodologie FC Barcelone), il n’existe qu’une phase en football, une idée qui se transforme en exécution. Pour nous, c’est le mode « inconscient » du joueur qui va intervenir. Le faire sans réfléchir, ou plutôt de façon intuitive.

Il faut savoir que 95% des actions effectuées se font de façon inconsciente, de façon instinctive. Le joueur dans sa construction passe par plusieurs étapes : Inconsciemment incompétent (il ne sait pas qu’il ne sait pas), consciemment incompétent (il prend conscience qu’il ne sait pas), consciemment compétent (il sait qu’il sait), inconsciemment compétent (il ne sait pas qu’il sait). C’est vers cette étape ultime que nous souhaitons emmener le joueur. Il réalise de façon « automatique » (pas robotisé) et intuitive car son inconscient prendra le dessus sur la réflexion construite qui est impossible à mettre en application en match.

Mais cet instinct se construit en réfléchissant bien en amont de l’exécution de l’action lors de tout le travail proposé à l’entrainement, qu’il soit réalisé en contexte ou hors contexte. Au travers de la richesse des expériences vécues, l’entraîneur permet au joueur de développer une intelligence situationnelle, émotionnelle et relationnelle.

Ainsi, Juan manuel Lillo souligne « qu’un gars qui exécute mal une passe, sa capacité à la voir va s’arrêter définitivement, ça modifie son organisme. Ronald Koeman pouvait voir un coéquipier comme Stoichkov à 70 mètres. Pourquoi pensez-vous qu’il pouvait le voir ? Juste parce qu’il pouvait le voir ou parce qu’il savait qu’avec son pied il pouvait l’atteindre ? Un gars qui sait qu’il peut faire une passe de 75 mètres ouvre sa perspective de la faire. Ce n’est même pas conscient (intuition). C’est aussi un produit de qui vous êtes, de ce que vous avez été, votre évolution et votre contexte. Vous pensez même quand vous ne savez pas que vous pensez. Les gens disaient d’Hugo Sanchez par son habitude à marquer en une touche qu’il le faisait « sans réfléchir ». Mais il a passé toute sa vie à réfléchir pour faire ça ! C’était naturel, une part de lui-même. Comme je le dis, ce n’est pas une liste de qualités. Si vous êtes un grand dribbleur mais que vous ne savez pas quand dribbler, en réalité, vous n’êtes pas un grand dribbleur !!! ». 

C’est à l’entraînement que se construit le fait de faire en réfléchissant pour savoir faire sans réfléchir. Tout le travail de l’entraîneur et de la METHODE COGNITEAM réside dans le fait de développer chez le joueur cette capacité d’agir sans perdre de temps en utilisant un mode intuitif plutôt qu’une réflexion analytique.

De nombreux exemple à haut niveau nous permette de défendre ce point de vue. Souvenez-vous des buts de Mikaël Essien et d’Andres Inietsa lors du match de Champions League 2011.  Andres Iniesta (à l’époque au FC BARCELONE) explique lors de son but à Stanford bridge (Guardiola, la métamorphose) issu de l’interview de Marcos Lopez et Ramon Besa (livre mon histoire, marabout ) : « pendant le match, ma tête fonctionne à toute vitesse et beaucoup de ce que je fais n’est pas réfléchi. Plus je réfléchi, moins je réussi ».

Lewandowski lors de son quintuplé en moins de 9mn à Wolfsburg  explique : « ça a été une folie. Je ne cherchais qu’à tirer et tirer encore, sans penser à ce qui était en train d’arriver… » c’est le principe d’inconscient entraîné. Le but de Van Persie lors de la coupe du monde 2014 contre l’Espagne, celui de Ronaldo en Champions League contre la Juventus, ou encore celui de Benjamin Pavard contre l’Argentine en coupe du monde.

Autant d’exemple qui nous prouve que le joueur n’est pas dans une logique détaillée du type percevoir, décider, agir qui a longtemps prévalue dans les théories de prise de décision. Au contraire, nous avançons l’idée que c’est l’intention (marquer dans ces cas précis) qui crée l’action (tir, reprise, tête plongeante) la rapidité des mouvements ne laisse pas de doute : L’intuition prend le dessus. Dans notre méthode, on recherchera à entraîner l’inconscient et la prise de décision intuitive, rapide et coordonnée.

L’intention de jeu se construit autour des 4C de notre Modèle d’Optimisation de la Performance Cognitive (MOPC): la Conscience, la Connaissance, la Compétence et la Confiance.

La conscience est un phénomène très complexe à appréhender. Elle est différente de l’éveil. En effet, il ne suffit pas d’être éveillé pour être conscient de ce qu’il se passe autour de nous. Le joueur de football doit en permanence rester connecté à son environnement interne et externe pour rester conscient. Sur le plan neurologique, c’est le fait de faire communiquer entre elles les différentes régions du cerveau de façon coordonnée, unifiée et cohérente qui vont permettre d’obtenir un niveau de conscience élevée. Cela permettra d’obtenir un niveau de conscience de ce que le joueur est profondément (choix de jeu, ressenti émotionnelle et corporelle, performances réalisées). Il faut donc posséder une connaissance de soi et une connaissance situationnelle (connaisse « sur » et connaissance « de »). Cette dernière se définit comme une trace du passé (action, émotion, sensation…) que l’on parvient à mobiliser alors que la source de cette connaissance peut être oubliée. Le joueur doit être capable dans le moment de reconnaissance de la situation, de s’appuyer sur la connaissance qu’il a de ses propres capacités et de l’action en cours pour agir en conséquence.

En exemple, sur l’image ci-dessous, dans le contexte particulier de l‘action, Marhez (Manchester city) est conscient de ses capacités d’élimination en 1/1 au contraire de l’équipe adverse qui n’ont pas eu le temps de prendre conscience de la situation dans laquelle se retrouve leur partenaire.

Il va pouvoir s’appuyer sur ses capacités de dribbles (ses compétences) et ses connaissances qu’il a acquis au cours de ces différentes expériences de joueur pour réussir ce type d’action. Il a conscience de son potentiel dans ces phases de jeu. Son niveau de confiance est alors élevé dans sa croyance à réussir ce type d’action. 

La dernière phase de l’intention est donc la confiance dans nos connaissances pour réussir l’action. Si Marhez n’a pas confiance dans sa faculté à éliminer en 1/1, il jouera alors avec le joueur en soutien pour redemander le ballon dans un espace libre et utilisé une autre compétence qui est à sa disposition.

Xavi, lors de son époque Barcelonaise, soulignait le fait que « dans 99% des cas, mon adversaire est physiquement plus fort que moi (Conscience). Ma seule chance est de penser plus vite que lui (compétence). Jouer une passe, me déplacer, faire une feinte…(Connaissances). Tu peux me marquer mais sitôt le ballon dans mes pieds, « POUM », il repart. Comment peux-tu défendre ? Impossible (Confiance) »[2].

 

[1] Ce terme indique une contraction des mots coopération et compétition, qui exprime l’intention de coopérer, de collaborer et de rivaliser simultanément avec eux (Philippe Fleurance).

[2] Football, l’énigme athlétique

Contexte (individuel ou d’équipe) : On peut parler de contexte global et local. En match, il regroupe l’ensemble des facteurs espaces, temps, nombres et émotionnels qui vont positionner le joueur dans un environnement spécifique. Un contexte spécifique permet de repérer des indices pertinents pour établir une réponse adaptée. A l’entraînement, on essaye de reproduire ce contexte en l’alignant le plus possible à la compétition pour qu’il puisse y avoir un transfert en match.

Le contexte peut être global s’est à dire prendre l’ensemble des conditions représentatives de la compétition dans un espace large et dynamique. Cependant, il peut se définir aussi de façon plus local avec une relation joueur adversaire qui s’effectue de façon « localisée » dans un espace de contrainte moins complexe. La création du contexte et des différents paramètres qui s’y rattache dépendront du niveau de conscience, de connaissance, de compétences et de confiance des joueurs (les 4C de notre MOPC).

Les contextes ne sont pas perçus de la même façon entre un joueur débutant et un joueur expert. Le sens que le joueur donne à ces différents contextes dépend aussi de chaque individu et de son histoire personnelle avec l’activité. De ce fait, à l’entraînement, nous ne créons pas le même type de contexte entre un joueur débutant et un joueur expert. Un ajustement des paramètres et contraintes est nécessaire même si le fond du contexte peut paraître semblable.

Enfin, un contexte n’est jamais identique sur la durée. En l’espace de quelques instant (voir d’un très court instant), leurs spécificités temporelles, spatiales, environnementales et émotionnelles changent. La problématique du joueur est de s’adapter à ses différents contextes. Celle de l’entraineur est d’amener le joueur à s’adapter aux différents contextes. C’est donc la richesse des situations et des sollicitations reçues à chaque instant qui permettra de favoriser l’adaptation incertaine au contexte de jeu. On passe de la connaissance situationnelle à la reconnaissance situationnelle et enfin l’intelligence situationnelle.

Perception/Anticipation : Dans le contexte particulier où se retrouve le joueur, il va percevoir ou anticiper grâce à ses sens, les messages et stimuli externe ou/et interne qu’il reçoit. La richesse des expériences vécues va permettre aux joueurs de reconnaitre certaines situations pour adapter leur conduite en conséquence de l’environnement et de ce qu’il perçoive de celui-ci. De plus, le joueur va souvent percevoir ce qu’il sait faire. Juan Lillo (Adjoint Man City) nous donne un parfait exemple (magazine So foot) : « Si un joueur ne sait pas jouer long, il ne percevra pas ce qu’il se passe dans son espace lointain car il ne possède pas l’habileté spécifique lui permettant de réussir son geste ».

Il nous semble important de souligner que le facteur émotionnel joue tout autant dans la perception que les autres facteurs. Il est d’ailleurs nécessaire pour prendre des décisions. En effet, un joueur avec un niveau de stress élevé ou insuffisant ne percevra pas ce qu’il se passe autour de lui de la même façon (théorie du U inversé).

Ce contexte émotionnel agit directement sur le niveau d’attention et donc de perception. Il paraît évident alors, qu’il faille tenter de s’en approcher à l’entraînement, même si nous savons aussi qu’il ne sera jamais identique au contexte émotionnel du match.

Création d’idée : De cette perception née une idée, une intention de jeu. Elles sont dépendantes des ressources du joueurs et de son niveau de conscience, de connaissance, de compétence et de confiance.

Le joueur doit posséder un état de conscience qui lui permet d’agir et d’interagir avec son environnement mais de façon intuitive (le faire sans réfléchir), en mobilisant la partie arrière du cerveau et fonctionner en mode implicite. Un niveau de connaissance de ses forces, ressources, solutions contextuelles pour se créer une représentation de ce qu’il va faire et un niveau de confiance en lui, ses partenaires, son environnement pour prendre les initiatives impactantes pour lui et son équipe seront nécessaires. Plus le joueur évolue sur chaque partie du MOPC, plus il attend un niveau lui permettant d’utiliser l’ensemble de ces ressources cognitives de façon efficiente.

Action (Exécution) : Le joueur agit suivant ce qu’il a perçu et l’idée de jeu qu’il a créé. Son action motrice est adaptée à la situation. Ainsi, d’après M. Bielsa, « les gestes techniques sont des réponses musculaires à la réflexion ». Le joueur exécute un geste technique ou une action physique (course, déplacement…) intégrés et le plus adaptés possible à la scène de jeu. Il doit posséder alors dans son répertoire gestuel ou moteur un maximum de possibilités lui permettant d’adapter ou de réadapter son exécution même en cours d’action. C’est sa capacité d’autoadaptation. Il développe une intelligence motrice qui lui offre la possibilité d’agir dans des environnements fluctuants et ceci de façon rapide et pertinente.

Feedback: ils seront immédiats ou différés. En cas de réussite dans l’action, le joueur peut ancrer son choix comme le geste juste à adopter dans la situation. Partant aussi du principe qu’aucune action n’est identique en match puisque le contexte est fluctuant et évolutif en permanence, c’est la perception du joueur dans ce qu’il reconnaitra comme indice au sein du nouveau contexte qui lui permettra de réaliser une action proche de celle qui l’a réussi. En cas d’échec, il enregistrera ce qui lui a manqué pour ne pas reproduire, dans un contexte proche, le choix de jeu qu’il a effectué. L’utilisation des feedbacks différés, notamment la vidéo ou les fiches d’analyses (voir notre fiche sur l’analyse de l’intelligence de jeu), vont permettre d’inscrire, en mémoire, les comportements à adopter dans les différentes actions du match. Cela participe à renforcer les capacités du joueur à prendre des décisions de façon intuitive, la première idée étant souvent la meilleure. Il faut donc être capable d’avoir une conscience élevée sur ses choix de jeu pour maintenir en mémoire à long terme l’action efficace et la réinvestir de façon propice.

L’ensemble des éléments présentés sont à la base de la METHODE COGNITEAM.

Cette présentation non exhaustive tente de montrer la conviction qui nous anime dans notre quotidien d’entraîneur pour amener le joueur à la haute performance : Former pour rendre plus intelligent en développant les ressources cognitives du système complexe joueur. Ce n’est qu’a ce prix que nous obtiendrons des équipes expertes et proactives dans leur domaine d’action, capables de s’auto organiser dans la dynamique fluctuante du match, adaptant leurs comportement à la situation vécue et véhiculant une énergie collective tant sur le terrain pour ceux qui seront acteurs du changement que ceux qui les accompagnent à atteindre ce haut degré d’intelligibilité.

Luigi RENNA

Fondateur et Responsable Méthodologie Cogniteam

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