Comment rendre le joueur acteur et responsable de sa progression ? Partie 1

Introduction

« Tu me dis, j’oublie. Tu m’enseignes, je me souviens. Tu m’impliques, j’apprends ».

Cette citation de Benjamin Franklin devrait s’imposer comme un adage permanent de la pédagogie employée par l’entraîneur dans son intervention au quotidien. En effet, pour ancrer les comportements efficaces chez le joueur, la séance d’entraînement se doit d’être un lieu de développement des savoirs en action. Elle permet un flux d’informations important et essentiel entre les joueurs et leur entraîneur. Elle favorisera la construction des niveaux de conscience, de confiance, de connaissances et de compétences (4C) qui permettront d’agir efficacement dans un milieu instable et dans des situations à fortes contraintes spatiales, temporelles, évènementielles et émotionnelles comme c’est le cas lors du match de football. Elle est aussi le support de la construction du style de jeu de l’équipe. L’entraîneur, au travers des différentes tâches d’apprentissage, favorisera l’expression individuelle et collective des joueurs et un certain type de projet de jeu. Nous retrouverons des comportements répétés (ex : jeu de passe courte) qui resteront adaptables suivant les configurations momentanées du jeu afin de mettre en place des solutions pour atteindre l’objectif ultime du match : marquer et empêcher l’adversaire d’en faire autant. 

Dans le cadre du développement du style de jeu et une approche dites « traditionnelle », l’entraîneur va s’appuyer sur une méthode d’apprentissage directive qui ne permet pas aux joueurs d’avoir un espace d’expression individuel et collectif. Il fait suivre un chemin unique car il estime être le seul détenteur du savoir. L’exécution de sa vision et de ses représentations sont les seuls moyens d’atteindre les objectifs visés. L’approche traditionnelle tend à donner à l’entraîneur un rôle de prescripteur et au joueur un rôle d’exécutant. Ce dernier est plutôt passif dans son apprentissage. Il reçoit les directives et informations et les applique sans en comprendre le sens. 

Cette façon d’agir pose d’emblée un problème. Nous comprenons rapidement qu’il sera difficile pour le joueur d’effectuer un transfert en compétition puisqu’il n’est pas ou peu sollicité dans sa capacité à résoudre de façon autonome les problèmes de jeu qui se présenteront à lui suivant les contextes de jeu évolutifs. En effet, le match de football est par nature un système complexe dynamique, où les joueurs et l’équipe devront adaptés leur comportement face aux changements permanents (déplacement du ballon, mouvements des partenaires, des adversaires, évolutions des espaces…). Si nous orientons notre travail sur l’automatisation et l’exécution de comportements identiques en pensant que les joueurs répondront à toutes les situations et en ne prenant pas en compte l’imprévisibilité, nous ne leur donnons pas la possibilité de développer leur sens de l’anticipation, leur capacité d’adaptation et d’auto-organisation face à des environnements qui alternent ordre et désordre.

Dans notre approche, nous considérons le joueur comme l’acteur principal de sa progression et l’entraîneur comme celui créant les conditions d’entraînement aidant le joueur à comprendre, à agir et à s’améliorer dans sa pratique. Il existe une bidirectionnalité des feedbacks favorisant la construction de savoirs et de compétences communes. L’entraîneur cherche en permanence à mobiliser les ressources du joueur et à développer son l’intelligence de jeu en favorisant son implication dans l’entraînement. L’intelligence de jeu est composée de 3 types d’intelligence. Chacune d’entre elle répond à une spécificité en même temps qu’elles agissent les unes sur les autres et sont interdépendantes:

L’intelligence situationnelle pour résoudre les problèmes de jeu qui se présentent et offrir des solutions pour chaque problématique de jeu rencontrée (avoir plusieurs solutions à un seul problème).  

L’intelligence émotionnelle pour utiliser la bonne émotion afin de transmettre et diffuser la bonne énergie (tant sur le plan individuel quand dans une dynamique collective).

L’intelligence relationnelle pour jouer et partager une interprétation du jeu avec un haut degré d’interaction et de relation interpersonnelle (savoir jouer avec et pour les autres).

L’apprentissage actif

Le Football, en tant que pratique complexe, implique des processus dit de coopération et d’opposition afin que le comportement des joueurs soit le plus prévisible possible pour les partenaires et le plus imprévisible possible pour les adversaires. Le rôle de l’entraîneur devient alors essentiel non pas pour « obliger à » mais bien pour « apprendre à » atteindre des objectifs sur le plan local et global. Il guide le joueur pour lui apprendre à apprendre et à comprendre le jeu. Il devient un entraîneur-coopérateur. Il implique fortement ses joueurs dans le processus d’apprentissage. Il donne plusieurs possibilités de résoudre un problème de jeu pour laisser le joueur choisir la solution la plus appropriée à ses ressources. Il invite les joueurs à s’exprimer après chaque tâche d’entraînement et mobilise leur réflexion. Il s’intéresse à leur ressenti avant, pendant et après la séance. Le tout dans un contexte d’entraînement ou les informations transmises lors des exercices sont les mêmes que lors du match[1] et ou l’environnement visuel est comparable à celui que les joueurs retrouveront en compétition.

Apprendre ne consistera donc pas à répéter à l’identique des gestes techniques ou actions de jeu dans des environnements stables en coupant le joueur des émotions (élément essentiel dans l’apprentissage actif). Bien au contraire, apprendre consistera à vivre des expériences de jeu dans des environnements changeants ou la réussite flirte avec l’erreur (qui est source de progression) et où chacun pourra trouver des éléments qui construiront son savoir en action. Bien que nous ne bannissions pas certaines tâches d’apprentissage, qui semblent parfois inadaptées au processus d’optimisation des 4C, nous les adapterons, avec en ligne de mire, la présence permanente du cycle sensation-action. Ce sont l’ensemble des Taches d’Entraînements Représentatives (TER) qui permettront d’atteindre cet objectif. Nous apportons les outils nécessaires aux joueurs pour qu’ils deviennent le plus flexibles possible tout en s’attachant à le faire dans un style de jeu spécifique et particulier, « Notre style de jeu ». C’est un des facteurs clé à prendre en compte si nous souhaitons former à la fois des joueurs performants, autonomes et créatifs. 

La complexité du football, ses principes de non-linéarité[2], d’émergence et de métastabilité (coexistence de la stabilité et de l’instabilité ) nous oriente vers un entraînement développant la compréhension du jeu, son évolution et la manière dont le joueur va pouvoir agir pour faire évoluer les évènements à son avantage. Le jeu impacte les décisions et les décisions impactent le jeu (continuum cognitif). Au travers du cycle sensation-action, un nombre important d’informations qui proviennent de l’environnement vont parvenir au joueur. Ce dernier devra être capable de détecter celles qui sont les plus pertinentes (capacité d’inhibition)  pour organiser ses réponses motrices et développer sa capacité d’autoadaptation. 

Afin de favoriser cette capacité d’autoadaptation, l’apprentissage actif est un des éléments clés utilisé dans le cadre de l’entraînement proposé dans notre méthode. Nous considérons l’apprentissage comme : « Le processus par lequel le cerveau réagit aux stimuli en créant des connections neurales qui servent de circuit de traitement de l’information et permettent le stockage des informations »(Kozumi, 2007). 

Le joueur dans un environnement sollicitant va faire évoluer son connectome[3]. Les expériences vécues vont augmenter la création de nouveaux chemins neuronaux qui permettront au joueur de concevoir un répertoire cognitif beaucoup plus riche au fur et mesure de son parcours. La neuroplasticité apporte un éclairage nouveau sur le fait que notre cerveau est capable de remodeler son organisation en interaction avec les évènements que nous vivons. Le cerveau doit être considéré alors comme un système dynamique qui dépendra des expériences et se remodèlera au cours du temps (capacité d’adaptation).[4]

Être « actif » implique alors une intention et une volonté d’agir dans un contexte particulier pour tenter de le comprendre et d’y trouver les indices susceptibles d’être les plus fonctionnels. Le joueur va y apporter les solutions qui lui paraissent les plus adaptées et pertinentes pour faire évoluer ce contexte à son avantage (Jeu d’opportunité). Et c’est à l’entraîneur de créer cette intention et cette volonté d’agir (donner envie de…) pour comprendre et répondre aux problèmes de jeu. La réflexion sur le contenu et le processus de la séance, la posture qu’il adoptera, l’influence de ses interventions sont autant d’éléments qui impacteront la progression du joueur et ses capacités d’expression dans l’action. 

Pour rendre actif le joueur, il faudra aussi être précis dans la détermination des objectifs à atteindre. Ceux-ci aideront les joueurs à se perfectionner dans des domaines particuliers. Des temps de pratiques élevés leurs donneront la possibilité de vivre de nombreuses expériences sensori-motrices. Ils seront au centre du projet d’entrainement et l’éducateur agit comme un concepteur et un créateur de contexte faisant émerger les comportements opportuns. 

L’entraîneur construit en permanence des environnements d’apprentissage (Tache d’Entraînement Représentative) aidant et guidant le joueur à être le responsable de l’évolution des contextes en lui donnant la possibilité d’agir sur ceux-ci suivant son niveau de ressources (les 4C). Une des difficultés, dans un sport tel que le football, réside dans le fait de se coordonner collectivement et de trouver de la synchronisation dans les choix effectués. En effet, l’action d’un joueur sur plan local et dans son espace d’interaction proche impactera forcément les actions des partenaires d’un point de vue global et dans les espaces d’interaction médians à lointains. Ce que je décide pour moi influence ce que les autres décident pour eux et ce que nous décidons pour nous. Il existe alors une forte interdépendance entre les joueurs et chacun influencera le comportement des autres. Et, c’est ce que nous tenterons de retrouver le plus souvent possible dans les différentes parties de la séance et taches d’apprentissage proposées. 

L’apprentissage actif est un processus qui est centré sur l’apprentissage des joueurs. Son but est donc d’insister sur la façon dont les joueurs vont apprendre à l’entraînement et pas uniquement sur les contenus d’apprentissages et les objectifs à atteindre. Le but est de passer du joueur exécutant au joueur responsable. 

En tant qu’entraineur nous n’agissons pas directement sur l’apprentissage mais sur les conditions de celui-ci. Les joueurs vont alors être sollicités et mobilisés pour « chercher et réfléchir activement » dans un espace partagé. Il est important d’adopter différentes postures (Rétroaction, observation, analyse) permettant cette recherche active et cette réflexion en contexte et respecter certaines conditions lors de la mise en place de son entraînement: donner un objectif et un sens à cet objectif, favoriser la communication et l’interaction entre les joueurs, auto-évaluer individuellement ou collectivement la performance produite pour atteindre l’objectif, se connecter avec l’environnement social et culturel des joueurs[5]

De plus, il devient difficile pour l’entraîneur de faire évoluer et progresser ces joueurs s’il ne leur donne que ce qu’ils ont besoin de savoir où s’il les limite à ce qu’ils ne sont que capable de faire. Il faudra chercher en permanence à déstabiliser le système complexe du joueur pour le rendre actif dans la recherche de solutions adaptées. C’est ainsi que l’ensemble des ressources techniques, tactiques, physiques, cognitives ,mentales, émotionnelles et créatives vont être mobilisées et optimisées. Les joueurs vont alors développer des connaissances et une compréhension en réponse aux opportunités offertes par l’environnement d’apprentissage.

Théorie de l’apprentissage favorisant l’apprentissage actif et rôle de l’entraîneur

Pour construire une bonne séance d’entraînement, il est primordial de se soucier de la façon dont les joueurs apprennent. L’apprentissage actif se base sur une théorie appelée « constructivisme ». Cette approche montre qu’à travers le sens qui est donné aux situations dans lesquels se trouvent les joueurs, la construction de leur compréhension de l’environnement de jeu se trouve optimisé. Une même information peut avoir un sens différents pour deux joueurs. Il sera nécessaire pour l’entraîneur d’identifier comment chaque joueur interprète ce qu’il veut entraîner[6]. L’apprentissage actif rend les tâches d’entraînement judicieuses. En effet, elles vont se dérouler dans un environnement significatif qui permettra aux joueurs de voir l’utilité de ce qu’ils apprennent du fait qu’ils pourront l’associer et le transférer plus facilement à la réalité du match. 

Ils vont ainsi développer des niveaux plus élevés de connaissances et vont avoir la capacité de mieux interagir avec le contexte dans lequel ils évoluent. Les meilleurs entraîneurs sont donc ceux qui construisent des niveaux de compréhension pertinents pour le joueur en lui fournissant un environnement d’apprentissage adapté à ses ressources en même temps qu’un environnement lui permettant d’en développer d’autres. C’est ce que l’on nomme la Zone Proximale de Développement (Lev Vygotsky, 1896-1934) qui se situent entre ce que le joueur peut réaliser seul et ce qu’il peut réaliser avec une ressource externe (entraîneur ou partenaires). 


[1]The coach-collaborator, training to promote Learning, Álvaro González and Xavier Damunt

[2] Un petit changement dans l’environnement peut entraîner une conséquence significative alors qu’un grand changement dans l’environnement peut ne pas entraîner une conséquence significative. 

[3] Un connectome est une carte complète des connexions neuronales dans le cerveau , et peut être considéré comme son ” schéma de câblage ” 

[4] Neuro-Learning, les neurosciences au service de la formation, P47, L’incroyable plasticité du cerveau. 

[5] Carlos lago Penas, Paco Seirul-lo’s proposal to design a training session in team sports, Barça Hub

[6] Carlos lago Penas, Paco Seirul-lo’s proposal to design a training session in team sports, Barça Hub

Nous parlerons aussi du concept de difficulté souhaitable (R.Bjork[1]) qui prévoit la mise en place de nouveaux défis qui font évoluer ce qui a été appris. L’apprentissage actif va chercher à favoriser le plus souvent possible les interactions sociales qui seront sources d’amélioration des niveaux de conscience, de confiance, de compétences et de connaissances. Plus les processus de communication et d’interdépendance entre les joueurs sont mobilisés, plus le joueur se rapprochera d’un niveau de sollicitations et d’optimisation de ses ressources. Ainsi, l’ensemble du processus de construction des Tâches d’Entraînement Représentatives (TER) doivent prendre en compte ces espaces de développement et l’entraîneur se doit d’orienter ses séances d’entraînement vers ces conditions favorables pour l’apprenant.

L’entraîneur créateur d’environnement d’apprentissage favorable à l’implication du joueur s’appuie sur trois facteurs essentiels pour donner du sens aux actions à entreprendre et construire les TER qui vont aider le joueur à développer son intelligence de jeu et ses composantes en interaction. 

Besoin du joueur : C’est le principe de bidirectionnalité qui déterminera ce facteur. En effet, suivant les observations effectuées en match ou à l’entraînement, l’entraîneur identifie l’écart qui existe entre l’état initial et l’état final vers lequel il estime que le joueur peut tendre afin de fixer des objectifs de travail. Le joueur est aussi un acteur privilégié de l’évaluation de ses besoins. Pour apprendre, il est nécessaire qu’il prenne conscience[2] de ses points d’amélioration et qu’il sache qu’il ne sait pas. Ces étapes amèneront le joueur à passer d’un apprentissage explicite mobilisant un haut degré de ressources cognitives à un apprentissage implicite qui sera plus intuitif. Il soumet à l’entraineur (principe de co-construction du parcours d’évolution). ou s’autodétermine des objectifs de développement qu’il souhaite atteindre. Il oriente son travail sur des structures qu’il estime être essentiel pour sa progression 

Scénario du match : C’est un moment spécifique et particulier que l’entraîneur évalue comme important à approfondir et qu’il souhaite faire travailler à ses joueurs. Il s’organise autour des temps de possession, de récupération ou de transition. L’entraîneur va extraire et reconstruire un scénario particulier du match. Cela permettra d’obtenir un transfert plus efficace car le joueur aura été plongé en amont dans des conditions proches à ce qu’il retrouvera en compétition. 

Projet de jeu : En partant du moment spécifique qui est analysé et les structures contextuelles organisatrices du jeu, l’entraineur va en déduire des principes d’interaction qui sont proches ou en lien avec le style de jeu de l’équipe (répétition d’action particulière permettant de faire basculer le rapport d’opposition à son avantage). Il crée un environnement qui s’alignera le plus possible avec le scénario du match et des conditions d’évolution qui feront émerger les principes d’interaction spécifique au projet de jeu.

L’entraîneur s’appuiera alors sur 3 types de taches d’entraînements représentatives : les taches d’opposition, les taches d’exécution et les taches tactiques. Chacune d’entre elles favorisent le développement des différentes structures du joueur en le rendant responsable de son apprentissage. 


[1] https://stringfixer.com/fr/Desirable_difficulty

[2] Les 4 niveaux de conscience : inconsciemment incompétent, consciemment incompétent, consciemment compétent et inconsciemment compétent

Enfin, L’apprentissage actif ne concerne pas seulement le contenu de l’entraînement. Il concerne également la posture de l’entraîneur, le processus d’organisation, la dynamique de la séance et les différents outils utilisés pour favoriser le développement des 4C. Le type d’intervention ou de feedbacks apportés aux joueurs, la pré-activation (ou l’avant séance), l’activation (ou échauffement), la partie centrale (ou développement), la post-séance (ou analyse /réflexion) sont autant de paramètres à prendre en considération et qui vont faciliter l’implication et l’apprentissage du joueur.

C’est donc un ensemble d’éléments en interaction qui permettront aux joueurs de s’engager dans la séance d’entraînement qui devient un véritable lieu d’apprentissage. Le joueur n’est plus un consommateur de contenus mais le protagoniste de son évolution. Nous tâcherons de modifier de façon stable et durable les comportements de nos joueurs en créant des conditions favorables et motivantes à leur implication pour les rendre le plus autonome et flexible possible dans leur prise de décision. 

Luigi RENNA

Directeur Technique Football Coaching